Quand on Naît du Mauvais Côté
- piednoir
- 9 juin
- 4 min de lecture
"Quand on naît du mauvais côté : lettre ouverte à ceux qui ne manqueront jamais de rien"
Combien ignorent comment çà coûte cher d'être pauvre ?
Je ne vous en veux pas.
Je commence par là, parce que ce n’est pas une plainte, encore moins une accusation. C’est un partage. Une mise à nu, sans pathos, mais avec cette vérité brûlante que l’on tait trop souvent : naître pauvre, ce n’est pas juste manquer d’argent. C’est grandir avec une boussole cassée, apprendre à aimer sans s’attacher, rêver sans y croire, avancer sans savoir où. Et pourtant, on avance.
Vous qui lisez ces lignes, peut-être faites-vous partie de ceux qui n’ont jamais connu l’angoisse de l’avis d’expulsion, la honte d’un manteau trop court ou d’un cartable troué. Peut-être avez-vous toujours su que vous auriez une chambre, un repas chaud, un avenir. Et tant mieux. Ce n’est pas une faute. Mais c’est une chance. Une immense, profonde, bouleversante chance.
Ce texte, je l’écris pour vous. Pour que vous sachiez. Pour que vous ressentiez, ne serait-ce qu’un instant, ce que cela fait d’avoir été cet enfant invisible.
Naître pauvre, c’est entrer dans le monde sans socle
Je me souviens de l’odeur de l’humidité. Elle faisait partie de la maison. On s’y habituait comme à une grand-mère grincheuse : elle râlait dans les murs, mais on n’y faisait plus attention. Chez nous, tout était bancal. Le sol, les règles, les adultes.
Ce n’est pas tant le manque de choses matérielles qui m’a blessé, mais le manque de regard. Le monde me regardait à travers un filtre : celui de la pitié, parfois ; de la peur, souvent. Pauvre égal dangereux. Pauvre égal feignant. Pauvre égal culpable. Vous ne l’avez peut-être jamais dit, mais vous l’avez pensé. Et moi, je l’ai senti.
Ce que vous ne voyez pas, c’est que l’on grandit avec une peur constante de gêner. On devient expert en effacement. On apprend à s’excuser d’exister. On évite les invitations parce qu’on ne peut pas rendre. On évite les vitrines parce qu’on ne peut pas désirer. On évite les rêves parce qu’ils nous feraient trop mal.

La violence sociale ne fait pas de bruit, mais elle marque à vie
Je n’ai pas reçu de coups. Ou peu. Mais j’ai reçu l’indifférence. Le mépris feutré. Les regards qui glissent. L’infirmière qui parle de moi à la troisième personne. Le prof qui ne croit pas en moi. L’ami qui m’abandonne quand il comprend qu’on n’est pas du même monde. La banque qui refuse, sans explication.
Un jour, on comprend que les règles du jeu n’étaient pas les mêmes pour tous. Que pendant qu’on apprenait à survivre, d’autres apprenaient à s’épanouir. Et pourtant, on ne baisse pas les bras. On devient malin. On développe une intelligence de la débrouille, une créativité de l’urgence. On apprend à faire avec rien, à bâtir des châteaux avec du sable mouillé.
Mais cette énergie-là, elle coûte. Elle use. Elle épuise.
La honte colle à la peau comme un vieux pull rêche
Il y a des souvenirs qui restent, même après des années. Le repas à la cantine où je prétendais ne pas avoir faim parce que je n’avais pas de ticket. Le jour où je n’ai pas rendu la photo de classe, parce qu’on ne l’avait pas payée. Le moment où ma mère m’a appris à mentir pour qu’on nous laisse le courant.
On devient des acrobates de la normalité. On fait semblant. On imite. On apprend à rire des bonnes blagues, à cacher les failles, à s’adapter. Tout le temps. Partout. Même adulte. Surtout adulte.
On devient des gens méritants. Courageux. Résilients. Et pourtant, combien d’entre nous restent sur le bord ? Combien, épuisés, arrêtent de lutter ? On ne le dit pas. On préfère montrer les réussites. Le pauvre qui s’en sort. Le miracle social. Celui qui devient entrepreneur, champion ou écrivain.
Mais ceux qui tombent ? On les oublie. Ou pire : on les accuse.

Ce que je veux vous dire, profondément, sincèrement, c’est que vous pouvez faire une différence
Je ne vous demande pas de vous culpabiliser. La culpabilité ne construit rien. Je vous demande de regarder autrement. D’ouvrir les yeux, le cœur, les perspectives.
Quand vous embauchez, regardez au-delà des diplômes. Quand vous aidez, faites-le sans humilier. Quand vous votez, pensez aux enfants qui n’ont que l’école pour espérer. Quand vous parlez d’effort, rappelez-vous que certains ont commencé la course plusieurs kilomètres derrière.
La pauvreté n’est pas une maladie. Ce n’est pas un choix. Ce n’est pas une honte. C’est une injustice. Et vous avez, vous, le pouvoir d’en atténuer les effets. Par un regard, un geste, une décision.
Je me suis relevé. Mais je n’ai pas oublié.
J’ai eu la chance de croiser des mains tendues, des êtres lumineux. Un prof. Une assistante sociale. Un inconnu dans un bus. Une parole juste au bon moment. Cela tient parfois à si peu.
Aujourd’hui, je veux faire partie de ceux qui tendent la main à leur tour. Mais pour cela, j’ai besoin de vous. De votre écoute. De votre relais. De votre courage, à vous aussi, de sortir de votre confort pour regarder la réalité en face.
Nous ne voulons pas votre pitié. Nous voulons votre compréhension. Votre considération. Votre solidarité, sans condescendance. Parce que nous avons autant de valeur que vous.
Et si ce texte vous touche, faites-en quelque chose.
Parlez-en. Partagez-le. Soutenez une cause. Engagez-vous. Ou simplement, la prochaine fois que vous croiserez quelqu’un de différent, posez-lui une vraie question. Écoutez. Essayez de comprendre. Ne jugez pas trop vite.
Il y a tant de dignité dans la pauvreté. Tant de force invisible. Tant de beauté dans les fissures.
Alors, à vous qui ne manquerez jamais de rien : merci d’avoir lu jusqu’au bout.
Christophe PIEDNOIR
Accompagner les Personnes dans leur Insertion Sociale et Professionnelle ▶️ Conseiller en Insertion Professionnelle en Devenir ▶️ Expertise en santé ▶️ Bienveillance, Proactivité et Impact



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