Qui Ménage sa Monture va Loin : Conseils pour Durer au Travail
- piednoir
- il y a 16 minutes
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Travailler, oui. Mais à quel prix ?
Pendant des années, j’ai travaillé comme infirmier. Sept ans dans la fonction publique hospitalière, trente ans dans la santé. J’ai connu les nuits blanches, les heures sup’ non comptées, les réveils en sursaut, l’estomac noué à l’approche d’un poste compliqué. J’ai vu des collègues tomber, se blesser, s’user à petit feu. J’ai moi-même flirté avec les limites.
Aujourd’hui, je me reconvertis. Je me forme pour devenir conseiller en insertion professionnelle, un métier que j’aborde avec la même humanité, mais un regard neuf. Et avec une conviction forgée par l’expérience : travailler ne devrait jamais signifier se sacrifier.
Le proverbe « Qui ménage sa monture va loin » n’a jamais autant résonné. Car le travail, c’est une course de fond. Ce n’est pas une performance ponctuelle, ni un sprint vers la reconnaissance. C’est un engagement au long cours, où l’endurance vaut autant que la compétence.
Dans cet article, je partage mes réflexions et conseils pour préserver sa santé, son énergie et sa dignité au travail, quels que soient son âge, son poste ou son parcours. Une forme de boîte à outils pour celles et ceux qui veulent durer, sans se brûler.

1. Comprendre l’usure professionnelle : le mal silencieux
On parle de burnout, de bore-out, de brown-out… Mais avant d’en arriver là, il y a souvent des signes précoces que l’on ignore ou minimise.
✦ L’usure, ce n’est pas toujours spectaculaire
Elle peut s’installer insidieusement : une fatigue persistante, un agacement inhabituel, une difficulté à se concentrer, un sommeil moins réparateur. Puis viennent le cynisme, le retrait, le sentiment d’inutilité. On se dit que ça ira mieux après les vacances, après le rush, après ce projet…
Moi, je l’ai vu venir sans m’arrêter. Je pensais qu’il fallait tenir. Que c’était ça, être pro. Je confondais résilience et déni.
✦ Ce qui use, ce n’est pas que la charge
Souvent, on croit que c’est la quantité de travail qui use. Mais c’est aussi :
L'absence de reconnaissance
Le manque de sens
Les conflits larvés
La pression invisible
L’écart entre nos valeurs et les pratiques du terrain
Ce qui use, ce n’est pas seulement ce qu’on fait. C’est la manière dont on le fait et ce qu’on ressent en le faisant.
2. Prendre soin de soi n’est pas un luxe : c’est une responsabilité
J’ai mis longtemps à comprendre ça. J’avais intégré l’idée que pour être un bon soignant, il fallait s’oublier.
✦ Le repos n’est pas une récompense : c’est un besoin
Dormir, se déconnecter, ralentir : ce ne sont pas des caprices. Ce sont des besoins physiologiques et cognitifs. Travailler avec un cerveau fatigué, c’est comme courir avec une entorse : ça finit mal.
✦ Écouter les signaux faibles
Apprendre à repérer quand quelque chose cloche : un stress qui dure, un rapport à l’alcool ou au sucre qui change, une perte d’envie… Ces signaux sont des lanceurs d’alerte. Les ignorer, c’est programmer un crash.
✦ Se ménager, ce n’est pas être paresseux
C’est savoir doser son engagement, poser des limites, dire non quand c’est nécessaire. Ce n’est pas un repli. C’est une stratégie d’équilibre.
3. Savoir dire non : l’art de la préservation
✦ Refuser, ce n’est pas trahir
Dire non, c’est préserver sa capacité à dire oui en conscience, pas par automatisme. C’est poser une frontière entre soi et l’attente des autres. Cela demande du courage, mais aussi de la méthode.
Un bon "non" vaut mieux qu’un "oui" qui nous détruit à petit feu.
✦ Astuces pour dire non sans se couper des autres :
Utiliser des formulations respectueuses :« J’aimerais pouvoir, mais je ne suis pas en capacité cette semaine. »
Proposer une alternative :« Ce que je peux faire à la place, c’est… »
Expliquer sans se justifier à l’excès :« J’ai besoin de respecter mes priorités actuelles. »
Dire non, c’est aussi montrer qu’on sait se positionner. Et ça, dans un collectif, ça inspire le respect.
4. Se recentrer régulièrement : les bilans intermédiaires
Dans le métier de l’insertion, j’apprends l’importance des bilan de parcours. Pour les bénéficiaires, c’est un temps de recul, d’analyse, de redirection. Pourquoi ne pas en faire autant pour nous-mêmes ?
✦ Tous les trois à six mois, je me pose :
Est-ce que ce que je fais a encore du sens ?
Est-ce que je m’y retrouve ?
Qu’est-ce qui me fatigue le plus ?
Qu’est-ce qui me nourrit encore ?
Ces questions, je ne me les posais jamais avant. Aujourd’hui, je les considère comme un rendez-vous de santé mentale. Comme un check-up émotionnel.
5. L’équilibre vie pro/vie perso : pas une injonction, un choix stratégique
On nous répète partout qu’il faut « concilier ». Mais pour moi, il ne s’agit pas de concilier. Il s’agit de choisir consciemment où je mets mon énergie. Et d’accepter que je ne peux pas tout réussir à la fois.
✦ Se fixer des règles simples :
Ne pas consulter ses mails pros le soir (sauf urgence réelle)
Prendre une vraie pause déjeuner
Garder une soirée par semaine sans écran ni sollicitation
Bloquer du temps pour des activités qui ne rapportent rien… sauf de la joie
Ces habitudes ne sont pas des fuites. Ce sont des rituels de régénération.

6. Travailler, oui. Mais pas pour mourir.
Ce titre peut paraître abrupt. Mais je l’assume. Parce que je l’ai vu : des gens brisés par un système qui les pousse à donner plus qu’ils ne peuvent. Des collègues qui finissent aux urgences. Des soignants en arrêt. Des éducateurs à bout. Des conseillers sociaux usés dès la trentaine.
✦ À quoi bon être utile si l’on devient soi-même une victime du système ?
C’est une question que je me pose souvent aujourd’hui. Dans mon futur métier de CIP, j’espère aider les gens à s’insérer durablement. Mais pas dans n’importe quelles conditions. Pas à n’importe quel prix.
Je milite pour une insertion humaine, soutenable, compatible avec la santé mentale et l’équilibre personnel. Car ce n’est pas de l’angélisme : c’est du réalisme. Un salarié cassé coûte plus cher qu’un salarié écouté.
7. Cultiver l’estime de soi pour ne pas dépendre du regard des autres
Une des raisons qui nous pousse à en faire trop, c’est souvent le besoin d’être aimé, reconnu, valorisé. Je parle en connaissance de cause.
Mais au fond, le vrai pilier, c’est notre propre regard sur nous-mêmes.
✦ Renforcer son estime, c’est :
Se féliciter pour ses petites victoires
Ne pas attendre que les autres valident nos ressentis
Se traiter avec bienveillance (même quand on échoue)
S’autoriser à ne pas être parfait
Ce travail intérieur, je le poursuis encore aujourd’hui. Mais j’ai compris que plus je me respecte, plus les autres me respectent aussi.
8. Le collectif, une ressource pour durer
On pense parfois que la résistance se joue en solitaire. Mais non. Le collectif protège. Il alerte, il soulage, il soutient.
✦ Quand j’étais infirmier, ce qui m’a sauvé, ce sont les collègues :
Ceux qui me disaient : « Va prendre ta pause, je gère. »
Ceux qui osaient dénoncer une surcharge.
Ceux qui écoutaient sans juger.
Aujourd’hui, en insertion, je vois que c’est pareil. Ce n’est pas l’individu contre le système. C’est le groupe qui, uni, peut faire évoluer les pratiques.
9. Quelques pratiques simples à adopter dès demain
Check-in émotionnel en début de journée : Comment je me sens ? Quel est mon niveau d’énergie ?
Micro-pauses toutes les 90 minutes : marcher, boire de l’eau, respirer.
Débrief hebdo perso : Qu’est-ce qui a bien marché ? Qu’est-ce que je referai autrement ?
Rangement numérique : supprimer les mails inutiles, organiser son bureau virtuel pour alléger la charge mentale.
Gratitude active : noter trois choses positives de sa journée, même minimes.
Conclusion – Tenir, ce n’est pas serrer les dents. C’est respirer.
« Qui ménage sa monture va loin. » Cette phrase, je la prends désormais au sérieux. Ménager, ce n’est pas ralentir par peur. C’est ralentir pour mieux durer. C’est choisir ses priorités, cultiver son endurance, et préserver ce qui compte.
Mon expérience d’infirmier m’a appris l’exigence. Ma reconversion en tant que conseiller en insertion professionnelle m’apprend aujourd’hui l’équilibre. Entre passion et précaution. Entre don de soi et respect de soi.
Ce que je veux transmettre, à travers cet article et à travers mon futur métier, c’est une conviction simple : on peut être utile sans se sacrifier. Engagé sans être épuisé. Présent sans s’éteindre.
À celles et ceux qui doutent, je dis : écoutez-vous. Appuyez sur pause. Ce n’est pas de la faiblesse. C’est une stratégie. Et souvent, c’est le premier pas vers une longévité professionnelle apaisée.
Christophe PIEDNOIR
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